Les Bastide de Malbosc

 

Héritiers de la dernières des Pagès Bannières les Malbosc transmettront la maison à leurs descendants, les propriétaires actuels.

 

Pourquoi Sylvestre  lègue-t-elle à Eugène de Malbos ? Est-ce par solidarité cévenole ? Sa parentèle dans le Toulousain est très éloignée, puisque le lien est antérieur à l'alliance Calages Bonay. En revanche, les liens des Bastide de Malbos avec le Toulousain, la baronnie de Saint-Félix sont anciens. En effet, Louis Bastide de Malbos, vient à Saint-Félix en mars 1765, puis en septembre 1773, recueillir la succession de son grand-père maternel, Joseph Morier[1], seigneur de Saint-Félix. Louis a fait ses études de droit à Toulouse avec ses cousins Morier. Avant que la Révolution Française, en 1791, n'abrège tragiquement sa destinée, il est initié à Saint-Jean-des-Loges-Réunies ou la Parfaite-Amitié de Toulouse [2].

 

Eugène de Malbos - le chateau de Saint Félix

Eugène de Malbos le château de Saint Félix, s.d.

 

Les Morier et les Calages se connaissent et se fréquentent, car une lettre unique de Jacques Calages à Jean Louis de Pagès Bannières à Toulouse, son gendre, nous raconte : "Avant hyer monsieur de Mourvilles (fils de J. de Morier) arriva de Paris, et son oncle le curé (Jean Joseph de Morier, le curé de Toutens) et le chanoine Belon se rendirent ici pour le recevoir. Ils dînèrent chez monsieur de Mascarville (Sanchely) qui me fit l'honneur de m'inviter, et lui prêta des chevaux pour le conduire dans une berline superbe qu'il a amenée de Paris, en le conduisant avec son oncle à Saint-Félix, monsieur Belon, monsieur Salomon Bret allèrent à Toulouse". Une autre lettre non datée (1781), signée Morier, curé de Toutens, à Jean Louis de Pagès Bannières, commence ainsi : "Mon cher camarade". Une autre du 24 octobre 1781, de Caraman, de monsieur de Rabaudy est adressée à Bannières à présent chez M. de Morier curé de Toutens. Le curé de Toutens à son décès laisse un diamant de 1 000 livres à Louis Bastide de Malbos en 1782.

 

Eugène de Malbos

 

Louis Aimé Eugène Bastide de Malbos naît le 21 août 1811, aux Vans, Ardèche, dans la famille de sa mère ; il est le fils de Jules Bastide de Malbos (1782-1867), savant géologue, anobli par Louis XVIII et de Julie de Lahondès Lafigère, née protestante, en 1783. Suzanne (des Hours Calviac) Lahondès de Lafigère, la grand-mère maternelle d'Eugène, a été convertie au catholicisme par un vieux prêtre, qui comme elle s'était réfugié à Pradelles (Hte- Loire), sous la Terreur. Il est donc arrière-petit-fils de Anne de Pagès Bannières soeur de Jean Louis.  Il est prénommé Eugène en mémoire du frère de sa mère, Eugène Lahondès de Lafigère, soldat de Napoléon tué à la bataille de Wagram deux ans auparavant. Il est baptisé le 22 août, son parrain est Jacques Lahondès de Lafigère son oncle, et sa marraine sa grand-mère Marguerite Aubert (de Lamogère) la veuve de Louis Bastide de Malbos qui périt dans sa prison de Pont-Saint-Esprit, étranglé par les révolutionnaires pour sa participation au camp de Jalès.

 

Il est l'aîné de quatre enfants. La seconde est Louise, née le 10 janvier 1813, décédée le 29 mai 1825 à l'âge de 12 ans ; le troisième Paulin, né le 10 mai 1814, mort le premier février 1900, qui épouse Constance de Castillon de Saint Victor décédée sans enfants, puis Alix de Roussy de Sales, dont nous descendons ; la quatrième Amélie, née le 5 octobre 1819, poétesse (le cardinal de Cabrières écrit : "on rencontre souvent dans les vers d'Amélie, un style élégant, des images gracieuses, une suave et touchante harmonie". Elle décède le 19 juillet 1845 à 26 ans. Enfin la dernière, Eugénie, née le 21 octobre 1822, "morte en odeur de sainteté" le 21 janvier 1878. Le Cardinal de Cabrières a écrit sa vie: Lettres et souvenirs, Françoise Eugénie de Malbosc, religieuse de l'Assomption. Montpellier. 1900.

 

L'enfance d'Eugène de Malbos se passe à Berrias en Ardèche. Le Vivarais et sa famille imprègnent son esprit. Il s'intéresse tôt à Caraman, alors qu'il fait ses études de droit et de peinture à Toulouse dès 1832. Il aide les Tourtoulon à gérer les métairies de Caraman, mais il ne sera propriétaire qu'en 1842 au décès de sa tante, et en 1857 après celui de son oncle usufruitier. Il épouse le 30 janvier 1843, à Toulouse, Marie Thérèse Louise Philippine de Carayon Talpayrac, fille de Jean Jacques Philippe et de Thérèse Philippine Jeanne Adèle Cassaing. Il habite 13 rue Tolosane, et Louise rue du Canard. Son père et son frère Paulin sont venus à la noce, ainsi que le vieil oncle César de Tourtoulon ; ils sont les témoins du marié. Ceux de la mariée sont Martial Azaïs conseiller à la cour royale, et Baptiste Rossignol. Signent également le registre les Lahondès Lafigère Jules et Louise, les Carayon, Felzins, Mathieu de Montal et H. Barrué, etc.  

 

 Eugène décède à Toulouse, rue du Canard, à 46 ans, le 29 mai 1858, du cancer à la langue des peintres (qui sucent leur pinceau), après avoir été opéré à Paris, l'année précédente, par le célèbre chirurgien Velpeau (1795-1867). Louise, son épouse décède le 7 mars 1897, au château de Terraqueuse, chez les Carayon. Cependant l'année précédant sa mort, Eugène décore sa maison de Caraman de grands tableaux : huit à la salle-à-manger, représentant des cascades des Pyrénées, et quatre au grand-salon, représentant son Vivarais natal, qui justifient le classement de cette maison à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, par décision de la commission supérieure des M H le 14 janvier 1991.

 

Sa veuve, Louise, aime habiter Caraman, jusqu'à son décès. Jules de Lahondès écrit à Alix de Malbosc le 6 janvier 1879 : "J'ai vu Louise hier, elle est fort occupée, fatiguée, ennuyée des commissions des caramanaises ; elle avait avant-hier soir les délégués du lieu ; quelles besognes feront-ils ?".  En 1881 elle facilite les démarches de Paulin de Malbosc qui fait ériger sur la place de Berrias une statue de la Vierge et de l'enfant Jésus en terre cuite du toulousain Virebent.

 

Tante Alix de Lavalette me disait que l'oncle Eugène venait peindre du haut du belvédère. En fait, il semble que l'aménagement actuel soit plus tardif et dû à tante Louise, sa veuve.

 

Les armes des Malbosc sont : de gueules à trois tours d'argent rangées en fasce, coupées d'azur au lion d'argent[3].

 

              Les biens possédés par Eugène à Caraman

 

Une idée des propriétés d'Eugène de Malbos, à Caraman, peut être donnée par la police d'assurances qu'il a souscrite auprès de la compagnie La Nationale en 1856. La surface des terres est connue par le partage des biens des enfants de Paulin de Malbosc, son frère, et autres documents. Comparé à l'état de Jacques Calages, celui-là témoigne d'une remarquable stabilité de la propriété terrienne sur plus de trois siècles, car les dernières métairies seront vendues dans les années 1960, nous laissant riches de souvenirs et d'archives.

 

Caraman: Maison de maître              16 000 f

         Maison du régisseur            5 000 f

         Maison rue neuve               4 000 f

         Maison rue de la Colombe       4 000 f

         Contenu maison de maître      10 500 f

 

Fermes:

   La Bourdette                         2 000 f    15 ha

      hangar                              600 f

   Le Roc                               3 000 f    19 ha

      1 fournial                          300 f   

      1 hangar                            800 f

   Gautardis                            5 000 f    53 ha     

      1 four                              400 f

   Soulentis                            3 000 f    20 ha

      1 hangar                            800 f

   La Belle                             2 000 f    16 ha

   Vieulèle                             5 000 f    29 ha

   Picadis                              4 000 f    23 ha

      1 fournial                          300 f

   Bonnet                               2 000 f    14 ha

   Lapierre                             3 000 f    20 ha

      1 hangar                          1 000 f

 

Total, avec         les récoltes etc.         122 500 f   209 ha (+/-)

 

Un peu moins de 7 % de la superficie communale.

(ajouter la carte)

Ces métairies sont à maître valet, sauf Soulentis qui est à métayer et où tous les ustensiles aratoires sont au métayer. Eugène, à son décès, deux ans plus tard,  est propriétaire de 12 paires de boeufs, 10 paires de vaches, 8 génisses, 12 veaux, 5 truies, 18 cochons, 5 juments et 111 bêtes à laine. Dans la cave de la maison, il y a 20 grandes barriques de 920 litres, 7 barriques contenant 220 litres, 3 cuves en bois et 38 comportes. Cet état est à comparer avec celui dressé à la mort de Barthélemy Calages en 1732.

 

Le 7 mai 1842, Eugène, devant m° Cabanis notaire à Toulouse, donne à la fabrique de l'église de Caraman une rente annuelle et perpétuelle de 300 f, pour la fondation d'une école dont la direction devra être confiée à des frères de la Doctrine Chrétienne. Le terrain pour cette école a été acheté le 19 novembre 1842, et l'école est construite aux frais d'Henry de Villèle. Le 16 août 1853, Eugène fait une donation de 6000 f pour l'entretien de l'école ; auparavant le 29 juin 1847, il adhère à la délivrance du legs de 4000 f, que César de Tourtoulon donne aux pauvres. Louise sa veuve donne 4000 f au bureau de bienfaisance le 12 décembre 1871[4].

 

                                                 L'artiste

 

Un caractère gai

 

Eugène est d'un caractère gai. Son grand oncle, Augustin Besqueut, ancien député de la Haute-Loire au corps législatif et maire du Puy le destine à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne. Sa femme écrit à Julie de (Lahondès Lafigère) Malbos, le 26 février 1830 : "..quant aux enfantillages d'Eugène, il me semble que vous ne devriez qu'en rire, et même que vous devriez vous en réjouir, un jeune homme qui est enfant à 18 ans annonce une simplicité et une innocence bien rare et bien précieuse..[5]". Eugène, après des études secondaires au lycée de Tournon, fait en principe des études de droit à Toulouse, (c'est l'oncle Tourtoulon qui a donné les renseignements). En vérité il apprend la peinture. Il est l'hôte habituel et chéri des Tourtoulon à Caraman. En témoigne la lettre, qu'il adresse le 4 février 1832 de Toulouse, à son oncle César, et qui nous livre toute sa spontanéité :

 

 "Mon cher oncle, nous avions bien résolu de ne pas conter notre petite mésaventure, de peur de vous tenir en peine, mais puisque vous me demandez tant de détails sur notre course, il faut tout vous dire.

 

Il n'y a pas de plaisir sans accident, et nous l'avons éprouvé: nous avions marché à la montée de l'Erse, arrivés au bout nous remontions en voiture, monsieur de Retz était déjà monté, j'avais un pied sur l'étrier et l'autre dans la voiture lorsque notre Bucéphale effrayé par je ne sais quoi part au grand galop, je suis jeté à quatre pas de la voiture tête première, les rênes mal attachées tombent, de Retz ne sachant ce que j'étais devenu et peu curieux de suivre davantage un cheval qu'il ne pouvait gouverner, saute et fait la triste expérience d'un principe de physique que monsieur Boisgiraud avait écrit dans une de ses dernières leçons. Je frappais sur la lèvre et le nez, de Retz donna du front contre un tas de pierres. Nous regagnâmes clopin-clopant notre voiture qu'on avait arrêtée au faubourg. Voilà un triste dénouement à une journée aussi agréable. Lorsque nous vîmes que la voiture n'avait causé aucun accident en rentrant en ville, nous prîmes le parti d'en rire ; nous en avons été quittes pour un bain de jambes, j'en prends un encore aujourd'hui, plutôt pour faire plaisir à madame de Villèle, qui me le recommanda hier, que pour moi. Je m'en sens fort bien. J'en pris un autre hier matin avant d'aller à la faculté. J'espère que c'est bien assez, madame Faure est d'une complaisance, d'une attention dont je saurais trop me louer.

 

Mais c'est bien assez vous entretenir de notre mésaventure, je vous promets qu'une autre fois je ne quitterai jamais les rênes, quelque doux que me paraisse le cheval. J'ai vu toutes les personnes de notre connaissance, excepté messieurs de Latour et de Bonneval. Je m'y présentais hier au soir mais un peu trop tard. mesdames de Belcastel, de Villèle, et Baron m'ont chargé de vous dire bien des choses ainsi qu'à ma tante.

 

J'ai cherché hier des caucons(?). On n'en attend que lundi ou mardi, je vous les enverrai. Prunet n'a pas encore remis le bon jardinier, je passerai aujourd'hui pour le lui recommander.

 

La matinée d'hier fut sombre comme à Caraman, mais le temps s'éclaircit dans la soirée et aujourd'hui il fait un temps magnifique.

 

Les églises de Toulouse furent pleines tout le jeudi, à Saint-Etienne on demanda des prières à une intention particulière que tout le monde comprit[6].

 

Adieu, mon cher oncle ne croyez pas que la fin de notre voyage m'ait fait regretter le plaisir d'aller à Caraman. Je vous embrasse et vous aime de tout mon coeur ainsi que ma tante."

 

Le ménage habite à Toulouse 22 rue Nazareth où Eugène a établi son atelier au fond de la deuxième cour. Louise partage ce caractère enjoué, une lettre de Françoise Eugénie de Malbosc le 3 mars 1853, avant qu'elle n'entre au couvent, évoque leur vie brillante  : "Figurez-vous que je suis tout à fait lancée dans le monde..Toute cette famille Carayon m'a accueillie avec tant de cordialité, d'amitié et de prévenances, que j'en suis confondue. Ce bon Eugène ne dort plus ni ne mange, tant il est en train ; Louise me range, me coiffe, me tire à quatre épingles toute la journée, et je me laisse faire avec une abnégation toute chrétienne. On vient me voir et je rends mes visites tout comme une autre. J'ai une robe du matin, une robe de ville, une robe de soirée, et je me conforme aux moeurs du pays, me confessant le matin, et allant au concert le soir, jeûnant le plus agréablement du monde avec toutes sortes de gourmandises, et me tirant enfin de cette vie nouvelle avec tous les honneurs, point embarrassée, point intimidée, me tenant fort droite et faisant la révérence à qui en veut..[7]".

 

Jusqu'au seuil de la tombe, Eugène garde ce caractère jovial. La même Françoise  écrit en 1858 : "Je sens cette âme, et il me semble qu'elle est déjà séparée de la terre, où sa voix ne se fait plus entendre (paralysie de la gorge)..notre pauvre Eugène conserve toujours son caractère de gaieté, lorsque ses douleurs le lui permettent, il rit encore[8]".

 

Joseph Latour, portrait d'Eugène de Malbos

Joseph Latour, portrait d'Eugène de Malbos

 

Le cardinal de Cabrières nous dit que Julie de (Lahondès Lafigère) Malbos avait inspiré à ses fils le goût des arts, en leur donnant l'exemple d'une admiration prompte à s'exalter devant les beautés de la nature[9]. Leur père le géologue, décrit avec enthousiasme cette nature dans ses oeuvres scientifiques. Lors de ses promenades, il taillait des bâtons en canne, sur lesquels il gravait milles et uns petits poèmes.

 

Un dessinateur infatigable

 

Eugène est l'élève et l'ami du peintre toulousain Joseph Latour. Celui-ci est né à Noé en Haute-Garonne, le 8 avril 1807, il est donc l'aîné d'Eugène de seulement quatre ans, il enseigne le dessin à l'école de Feuillants tenue par les Dames de Saint-Maur, et très vite son atelier de la place des Carmes est fréquenté par la jeune aristocratie toulousaine. Latour dédaigne les salons parisiens pour n'exposer qu'à Toulouse ou dans la région. Eugène Fil, Maxime Lalanne, Charles de Saint Félix sont les condisciples de Malbos chez Latour. Eugène de Malbos publie avec son ami Gustave de Clausade : Un voyage d'artiste. Guide dans les Pyrénées par deux amis (Dagalier, Toulouse 1835). Gustave de Clausade est né le 25 août 1815 à Rabastens (Tarn) et décède à Toulouse le 29 juillet 1889, il est avocat à la cour de Toulouse. Dans cette plaquette ils évoquent avec lyrisme les paysages de Bagnères de Bigorre à Saint-Béat, qu'ils ont parcourus l'été précédent.

 

Sur la plupart de ses dessins Eugène note la date et le lieu. Les plus anciens (datés) de ceux que conserve la famille sont de 1827, mais ils ne s'échelonnent de manière suivie qu'à partir de 1836. Ils permettent alors de reconstituer les courses qu'il effectue, chaque année, de mars ou plus souvent avril-mai jusqu'à la fin de novembre. Il est impossible de savoir si une année est entièrement répertoriée. 73 dessins, pour cette année 1841, représentent-ils le maximum ? Il semble cependant qu'après son mariage leur nombre diminue, à moins qu'ils soient conservés ailleurs. Ils révèlent une grande mobilité, alors que les moyens de transport sont encore très limités ! En mai 1836, il dessine le château de Nogarède dans le Tarn-et-Garonne, et Saint-Lizier dans l'Ariège. De là il passe dans la vallée de Castillon puis revient à Saint-Lizier. En juillet et août il se promène à Luchon et termine son périple à Caraman où il dessine la métairie de Jean-Laville. En automne il va voir son père puisqu'il dessine les châteaux de Montréal, Largentière et Chambonas, à côté de Berrias en Ardèche. L'année suivante, en juillet 1837, son ami Gustave de Clausade l'entraîne dans le Tarn, autour de Rabastens, Cordes, puis dans le Tarn-et-Garonne, Montauban, Bruniquel. En novembre, il va se reposer chez sa tante Tourtoulon, au château de Riveneuve dans l'Ariège. Il tourne autour de Pamiers, Foix, etc. En 1838, au mois de mai, il visite le Dauphiné, Sassenage et ses environs (il rejoint son frère Paulin, encore célibataire, qui est fonctionnaire dans l'enregistrement à Grenoble). Puis il revient séjourner à Berrias dans le Vivarais, d'où il rayonne tout l'été : le Pont-du-Gard qu'il dessine, le château de La Saumée, celui de Largentière, l'église de Naves, le château de Vogué, les environs des Vans, etc. Le premier août il est encore à Bannes, mais le même mois il travaille dans la vallée de Luchon. Pourquoi en 1839, reste-t-il tout l'été à dessiner dans le toulousain ? Seulement une escapade fin août à Saint-Sernin-d'Aveyron, un retour sage en octobre à Caraman, où il dessine l'église d'Auriac et le château du Refuge des Montbel, pour s'en aller de nouveau à Saint-Sernin et Castor dans l'Aveyron.

 

Eugène de Malbos, Le Refuge, 1839

Eugène de Malbos, Le Refuge, 1839

 

En 1840, en juin, il dessine à Caraman la vieille église de Maureville, puis séjourne en été dans la vallée de Luchon. En revenant sur Riveneuve, chez sa tante, il croque au passage Saint-Bertrand-de-Comminges, le 24 août (qu'il dessinera à nouveau le 24 août 1841 et le 24 août 1844[10]). De Riveneuve, il repart le lendemain pour Luchon, pour revenir le 24 septembre, chez sa tante et exécuter de nombreuses vues de Pamiers. Début novembre, il court à Saint-Michel-de-Castor dans l'Aveyron, puis revient sur Luchon. A la fin du mois retour aux sources chez son père à Berrias en Ardèche où l'attirent les bords du Chassezac.

 

En Juillet 1841, de Caraman, où il dessine ses métairies et le château du Crozillat d'Appolinie de Villeneuve marquise de Luppé, il part dans les Pyrénées. On est étonné par la somme de travail que représentent 64 dessins terminés et exécutés en 42 jours, du 7 août  au 18 septembre 1841. Certains jours il en fait trois. Il va de Lourdes à Bayonne, en passant par la vallée d'Argelès, Cauterets, Les Eaux-Chaudes, Pau, Oloron, Fontarabie, Guipuscoa, etc. Il campe des châteaux en ruine, d'autres non, des églises à chevets romans, clochers murs, ou clochers baroques. Au moulin-Latour, il croque une jeune femme de dos dessinant, un sarrau bouffant serré autour de la taille, assise sous un haut parasol, est-ce sa future épouse ? "..ne pas croire que Louise n'était que porte-bagages de son mari, m'écrit Guy de Malbosc, elle avait, elle aussi, un joli coup de crayon". A La-Barraque-de-Pierrefite, il s'est représenté sous le même parasol. Il faut imaginer ces heures de travail, sous le soleil d'été du sud ouest! L'artiste porte avec lui un portefeuille, qui a été conservé, muni de trois couvertures, dont une ajourée en forme de cadre et dans laquelle il glisse la feuille qui va porter son dessin. Dans le portrait peint d'Eugène et Louise, de Joseph Latour, debout à côté de son mari Louise tient ce portefeuille, alors qu'Eugène dessine sur un autre. Puis ce sont des maisons sur piles, les cascades et les ponts qu'il affectionne, et même, pour ce terrien, des voiliers dans la Guispuscoa ! Les dessins sont souvent rehaussés de crayon blanc, de gouache blanche ou des ocres, sur un papier à dessin normal ou sur un fond bistre. Même dans les ébauches qu'il a laissées le premier coup de crayon est sûr. Cependant il est plus habile pour crayonner les arbres et leur feuillage, les animaux sont naturels, mais les personnages restent raides et à peine esquissés.

 

   La vie dans les Pyrénées, qu'évoque Jean Fourcassié, dans Romantisme et Pyrénées est brillante et joyeuse. Dans les villes d'eaux les hôtels sont pleins, il faut attendre que les morts libèrent les chambres. Bals et réceptions se succèdent autour des personnalités, "les eaux minérales font plus de cocus que de guérisons" dit-on. Eugène se trouve dans son élément politique, car la société est légitimiste. Quand le duc de Nemours, fils de Louis Philippe, arrive à Cauterets, le 13 juillet 1846, "..son entrée a été aussi silencieuse qu'un baigneur vulgaire" note  Eugénie de Guérin. "Le duc de Nemours", écrit-elle encore, "est passé sous nos fenêtres venant de la chasse. Il saluait avec toute la grâce qu'il pouvait trouver dans un feutre gris. On en mettait peu à lui répondre. Les gens du pays le détestent dit-on, parceque il est cause que la haute aristocratie s'en va pour ne pas se rencontrer avec lui". En juillet 1844, Eugène dessine dans la vallée de Vicdessos, et s'attarde à Tarascon sur Ariège.

 

   Comment voyage notre dessinateur pour aller d'un site à l'autre :  "..huché sur l'impériale de la diligence toulousaine" ? comme il l'écrit lui-même[11] ; à pieds ? est-ce avec le cacolet, un double siège porté par un cheval, un pour le promeneur, l'autre pour l'agreste conductrice ? transporté dans une chaise dont les porteurs sentent le bouc comme le prétend Georges Sand ?  ou écrit-il "..à dos de mulet tantôt enlacé à leur cou, tantôt cramponné à leur croupe"[12].

 

 Eugène, en 1843, présente son Vivarais natal à sa femme, comme l'attestent les dessins datés. Ils y reviennent en 1845, 46, 47, 49, 50, 52, 53. En 1849 le ménage vient avec Joseph Latour, le 30 août c'est Louise qui dessine le Pont-d'Arc, mais le 14 septembre Latour et Eugène campent chacun de leur côté, sur le papier, le Pont-de-La-Baume dominé par les ruines de Ventadour, Latour fait une sépia ; dans le Gard Louise dessine le château de Rousson. A Saint-Victor-de-Malcap, Latour en profite pour faire un crayon de Paulin, et sans doute des autres membres de la famille, ce qui nous vaut en 1850 un tableau cosigné des deux artistes qui représente le château de Saint-Victor avec en premier plan les membres de la famille peints par Latour. Le 7 août 1850, une excursion du ménage, nous vaut un dessin du château de Polignac en Velay, puis celui de Murol en Auvergne. Au retour les "deux tourtereaux" glissent en barque le long du Rhône, et sur un petit carnet Eugène croque le paysage qui défile, Crussol, Lavoute, Cruas, Rochemaure, Viviers. Ils débarquent à Pont-Saint-Esprit pour rejoindre Berrias, le 18 septembre, par la route. Le 21 septembre, de Berrias, ils font une promenade à Bessège et  Malbosc . Puis ils vont le 21 novembre faire un séjour chez Paulin à Saint-Victor-de-Malcap, et visitent leurs voisins. Eugène toujours dans son petit carnet croque le château de Camont, celui de Calviac chez ses cousins protestants, les des Hours. Chez ses cousines protestantes, les Chambon, il croque la vue du château de Rousson (dont il fera un autre dessin en octobre 1852 ainsi que de Calviac), puis Potelière château de la marquise de Montalet. Enfin ils reviennent à Toulouse par Montpellier, l'étang du Tau, Agde, Béziers et Montgiscard en Haute-Garonne nous révèle le petit carnet de croquis. En avril 1851, il rayonne à partir de Terraqueuse, chez les Carayon Talpairac sa belle-famille, dont il reproduit le portail d'entrée, Le Secourieux en Ariège chez le maréchal Clausel, Cintegabelle, l'abbaye de Boulbonne, etc.

 

En juillet 1855, il est reçu dans la famille de sa belle-soeur, les Roussy de Sales, en Savoie, dont il dessine le château de Thorens . Il réalise de très beaux dessins d'un voyage en Suisse dans les premiers jours d'août 1855, où il a peut être retrouvé l'artiste Louis Lucien Jacotet qu'il a connu quand ce dernier explorait les Pyrénées en 1834. Ces dessins représentent des vues de Berne, des lacs de Bienne, de Thun, Interlaken, ou la Dent du Midi vue de Simmenthal, ou le glacier de Preyterne dans la vallée de Lauterbrunen, etc. Un dessin inachevé permet de découvrir la nouvelle technique employée, en effet la vue est croquée sur les sites, et ensuite de légères touches de couleurs bleutées ou blanches donnent une douceur virgiliène à l'ensemble.

 

Eugène de Malbos, Le Crozillat, 1851

Eugène de Malbos, Le Crozillat, 1851

 

L'art de la lithographie

 

De nombreux dessins sont ensuite transformés en lithographies originales, c'est à dire que l'artiste est à la fois l'auteur du dessin et le graveur sur pierre, et publiés pour la plupart chez Constantin à Toulouse. Nous constatons que la litho est le reflet du dessin, même dimension, même contraste, il réussit, malgré l'inconvénient de la monochromie à donner l'illusion de la couleur. Les premiers plans sont parfois modifiés, pour devenir plus conventionnels, plus commerciaux ? "Certaines lithographies du dessinateur, nous dit Marguerite Gaston[13], ont quelque chose des  dessins orientaux. Sa planche des Eaux-Bonnes ressemble à certaines estampes japonaises avec ses plans étagés verticalement. Le crayon de Malbos, dans ses lithographies, reste très souple. Le grain de la pierre donne des ombres douces et des passages onctueux".

 

Il publie, en premier non daté, un album, Croquis d'un élève de M. Latour, chez Constantin à Toulouse, 22 planches 48 x 33 dessinées en 1825 et 1830 ; toujours chez Constantin, en 1843 un album de 15 planches  Une visite au bon roy Henry, suivie d'une excursion au Guispuscoa, par Bayonne. Le texte est de Gustave de Clauzade. Il publie encore, non daté, en album, Les plus beaux sites des Pyrénées, édité par Dufour à Tarbes, et Frick imprimeur à Paris. Sur 29 planches 13 sont d'Eugène et 16 sont de Maxime Lalanne. Enfin en 1859, un an après son décès, est publié l'ouvrage de Frédéric Soutras Les Pyrénées romantiques, qui contient 9 lithos de lui, à côté de celles de Lalanne (14) et 3 de Seguin et Deroy. Dans Le Routier des Frontières Méridionales se retrouvent plusieurs autres lithos signées ou non. En 1842 il illustre des mélodies publiées chez Constantin, par exemple : "Monte dans ta nacelle - Barcarolle à 2 voix, paroles de Théobald d'Escouloubre, musique de Philippe de Bray, dédiée à Mme H de Cantalauze" ; la lithographie représente un château en ruine avec à ses pieds une barque et son nautonier.  Certaines lithos sont intitulées : "Souvenir d'Ardèche", une composition dans laquelle se trouvent réunis le château de Largentière et le pont de Jaujac ; "Souvenir des Alpes" en 1838, "Souvenir du Grésivaudan", où plusieurs sujets sont ainsi regroupés, peut être d'une façon un peu naïve, sur la même planche. Quelques lithos individuelles, oeuvres de jeunesse, comme celle de Berrias (Ardèche), ou à usage domestique comme celle du château de Riveneuve en Ariège, complètent cette production. Louise, son épouse fait aussi de la lithographie mais d'une manière plus simple comme celle de maisons des Pyrénées faites avant son mariage en 1839, puis en 1842.

 

  Le peintre

 

Eugène expose pour la première fois à Toulouse en 1835, une vue du château de Vogué en Ardèche. Il peint, en 1857 l'année précédant sa mort, quatre grands tableaux de 1,80 x 1,69, qui représentent son Vivarais natal. La chaussée des géants à Thuyets, Ventadour, les gorges du Chassezac, et Malbos ; eaux, ruines, rochers ; huit tableaux de 1,80 x 0,80, dont l'identification des lieux n'est pas donnée, ce sont des cascades des Pyrénées, nous reconnaissons, grâce à ses dessins et lithographies, le Pont-de-Scia, et le Pont-d'Espagne à Gavarnie, ainsi que la cascade des demoiselles. Sur la cheminée il campe hardiment le château de Largentière en Vivarais, sur une cascade ; toujours de l'eau, des forêts profondes, des sommets enneigés, et des chèvres qui s'affrontent. Il semble qu'Eugène sentant la mort venir en 1857 ait voulu transposer sur ses toiles toute la quintessence de sa vie d'artiste, ainsi que les émotions et descriptions de son voyage de jeunesse de 1834: "..cascades formées par deux torrents, ils viennent furibonds et bondissants l'un du lac de Gaube, l'autre du val de Marcadau, mêler leurs ondes écumantes et les dérouler en nappes d'argent sur les rochers qui s'inclinent devant elles"[14]. Peintre romantique, pyrénéiste, tous les ingrédients y sont, mais avec élégance et  discrétion et, malgré la violence des eaux qui se précipitent, ses paysages restent paisibles.

 

"Et la cascade unit, dans une chute immense

     Son éternelle plainte au chant de la romance".                     écrit Alfred de Vigny

 

Eugène de Malbos est vraiment allé sur les sites qu'il a dessinés, contrairement à beaucoup d'artistes, et d'autres "..ces écrivains, qui sans doute ont fait le voyage dans leur cabinet[15]". En revanche ses tableaux sont manifestement exécutés en atelier d'après ses dessins ou ses lithos ; une peinture du château de Bouzols en Velay, est faite  d'après une lithographie de Deroy, éditée par Ch Motte, dans la série des bords de la Loire. Il peint pour sa belle-soeur le château des Sales à Thorens (Hte Savoie), pour les Lafage leur château de Mancie dans la Haute-Garonne, le château de Potelière, d'après son croquis de 1850, etc. Tableaux que le hasard nous fait découvrir chez les descendants des propriétaires de l'époque. Il peint le plus souvent sur toile, sur carton, sur tôle et même sur marbre en guise de presse-papiers. Il peint aussi de petites gouaches de 11 cm x 7,5 en ovale de 9cm x 7,5 et la plus petite de 3,6 cm x 2,3, qui sont, elles aussi, des reprises de ses dessins. 

 


[1] - Alain de La Soujeolle : Les Morier in Bulletin généalogique du Languedoc. Oct. nov. dec. 1990.

[2] - Michel Taillefer : La Franc Maçonnerie à Toulouse, Paris 1984.

[3] - Benoît d'Entrevaux : Armorial du Vivarais ; Villain : La France  Moderne Drome Ardèche ; Révérend : Les anoblissements de la Restauration.

[4] - Communication de Guy Salles.

[5] - Archives du château de Berrias.

[6] - César et Eugène sont légitimistes et se comprennent à demi-mot : il s'agit certainement d'une messe pour le jeune comte de Chambord, qui a 12 ans et qui a perdu son trône 2 ans auparavant.

[7] - Cf. Cardinal de Cabrières.

[8] - d°

[9] - d°

[10] - Le 24 août n'est pas le jour de la fête patronale.

[11] - Un Voyage d'artiste p.7.

[12] -  d° p..52.

[13] - Cf. Images romantiques des Pyrénées.

[14] -  d° p.35.

[15] -  d° p.69.