Avant-propos

 

Pour juger le passé, il aurait fallu le vivre. Pour le condamner, il ne faudrait rien lui devoir.  Montalembert.

 

Le comté de Caraman, son origine, sa dévolution

 

   Dès le haut moyen âge, Caraman témoigne de cet esprit d'indépendance qui caractérise le comté jusqu'à la fin de l'ancien régime. Très tôt aussi cette petite ville est troublée par des conflits religieux. C'est pourquoi avant de développer notre chronique, il est nécessaire d'évoquer la trame tressée par le temps et les hommes sur les plans politique, administratif et religieux. En l'an 1005 Raymond, évêque de Toulouse, et le comte Guillaume,  convoquent un concile pour s'opposer à Donat seigneur de Caraman. En effet ce dernier comme ses prédécesseurs, prenant prétexte que les rois leur avaient accordé le privilège de tenir un marché les trois derniers jours de la semaine, en tel endroit de leur domaine qu'ils jugeraient à propos, en profite pour multiplier les péages et nuire ainsi au commerce toulousain[1]. L'hérésie albigeoise n'épargne pas la petite cité. Dans le mémorandum de 1209 figurent vers 1204 et 1209 les maisons tenues par les hérétiques[2]. En juillet 1206, Pierre de Castelnau légat du pape, Diego d'Azebez évêque d'Osma, frère Raoul, et saint Dominique passent à Caraman où il y a un grand nombre de "sectaires". Ils y demeurent huit jours et disputent vivement contre deux chefs des hérétiques. Ils les confondent mais ne les convertissent pas. Seul le peuple renonce à l'erreur mais ne chasse pas ces deux chefs, car le seigneur du château les protège. En effet en 1217 Gérard de Gourdon, seigneur de Caraman, vient au secours du comte de Toulouse dans sa lutte contre Simon de Montfort. Caraman devient le siège d'un diacre cathare. En 1242 le parfait Arnaud Garrigue, de Caraman, sera brûlé à Montségur[3]. Le 29 mai 1246 Raymond VII comte de Toulouse achète à Bernard d'Astafort tout ce qu'il possède dans le château de Caraman, puis le 18 octobre 1246 il achète à Bernard de Villeneuve ce dont ce dernier est propriétaire au même lieu[4]. Le premier décembre 1249 tout rentre dans l'ordre, les consuls de Caraman, avec d'autres, prêtent serment de fidélité aux commissaires envoyés par la reine-mère Blanche de Castille au nom d'Alphonse de Poitiers son fils, héritier du comté de Toulouse[5].

 

   Le roi Philippe le Bel, héritier des comtes de Toulouse par Alphonse de Poitiers, développe sa politique de paréage avec les grands seigneurs ecclésiastiques et séculiers. Il entend modérer leur autorité et étendre la sienne. C'est ainsi qu'il échange avec Bertrand III vicomte de Lautrec, le 23 janvier 1306, la baronnie de Caraman, contre la moitié de la vicomté de Lautrec. Bertrand reçoit en échange le château ou ville de Caraman, et les villes et villages qui en dépendent au nombre de seize, avec haute et basse justice, et le droit de confiscation pour fait d'hérésie. Interdiction lui est faite ainsi qu'à ses successeurs de démembrer la baronnie. Le roi érige la baronnie en vicomté en mai 1306. Mais Bertrand ne la garde pas longtemps puisqu'il la vend, le 21 mars 1317, à Pierre Duèze, frère du pape Jean XXII. Charles VIII érige, en janvier 1484, la vicomté de Carmaing et les trois baronnies de Saint-Félix, Auriac et Beauville, voisines l'une de l'autre, en comté. Le 25 mars 1416, jour de l'Annonciation, saint Vincent Ferrier opère un miracle à Montolieu, il demeure à Toulouse du 10 avril au 4 mai puis il est invité trois jours à Caraman[6]. Le comté reste dans la maison Duèze, dite de Foix Carmaing[7] après l'alliance le 21 septembre 1427 de Jean de Carmaing avec Isabelle de Foix, jusqu'au 23 mars 1596. A cette date Jeanne de Foix apporte le comté à Adrien de Montluc son mari, et leur fille Jeanne le transmet à son mari Charles d'Escoubleau marquis de Sourdis[8]. Le marquis de Sourdis vend le comté à Paul de Riquet le 5 août 1670, puis le 26 décembre 1679, la baronnie de Saint-Félix, et les seigneuries de Saint-Julia, Le Vaux. Mais le comté a été en partie démembré. Le comte de Caraman vend, le 29 avril 1387, à Guillaume de La Bailie, tous les droits qu'il possède dans la seigneurie de Roumens[9] ; la baronnie de Beauville a été vendue le 19 septembre 1460 à Copin de Moulins ; la baronnie d'Auriac, et Le Faget qui en dépend, par Antoine de Caraman baron de la Pomarède, le 2 août 1516, à Jacques des  Guillots ; Gaston de Foix, comte de Caraman, vend la haute justice de la seigneurie des Casses, le 12 novembre 1519, à Hugues des Casses ; Jean de Foix, comte de Caraman, et Odet de Foix, son fils, en 1536, vendent la seigneurie de Montaigut à Géraud de Manenq[10] ; encore au XVI° la seigneurie du Falga est transmise à la maison de Vernès[11]. Enfin celle de Saint-Félix a été vendue par Paul de Riquet le 20 septembre 1712  à Henry Joseph marquis de La Garde Chambonas. Cependant conformément à l'acte de Philippe le Bel de 1306 le comté primitif de Caraman survit dans son principe jusqu'en 1789[12]. A. Navelle[13] donne une carte du comté de Caraman, au temps de sa splendeur en 1390, je donne p ??? la carte, au XVII° et XVIII° siècles.

 

Arnaud Dueze

            __________________________________I_________________________________

                Pierre Dueze (achète la baronnie de Caraman le 21 3 1317) Jacques Dueze Jean XXII

                x Catherine Grand                                         Pape d'Avignon (1249-1334)

                                I

                Arnaud Dueze Vte de Carmaing

                x V.1317 Marguerite de L'Isle

                                I

                Arnaud II de Carmaing

                x 1° Aladasie de Castelnau                                 2° Rosine d'Albret

                                I                                                                                               I

                Hugues Vte de Carmaing                                                       Arnaud de Carmaing

                x en 1398 Béatrice de Perilhes                  x av. 1405 Marguerite d'Estaing

                                I                                                                                               I

                Jean de Carmaing                                                 Rose de Carmaing

                x 1° 21 9 1479 Isabelle de Foix                         x 9 12 1428 Jean de Solages

                 (2° 17 5 1460 Catherine de Coarase)

                                I

                Jean de Foix Cte de Carmaing

                x 1° 17 5 1460 Jeanne de Foix

                 (2° Jeanne de La Tour de Boulogne)

                                I

                Gaston de Foix Cte de Carmaing

                x v. 1490 N...

                                I

                Jean de Foix Cte de Carmaing

                x 12 10 1518 Mgte ou Madeleine de Caupene

                                I

                Odet de Foix Cte de Carmaing

                x 16 9 1561 Jeanne d'Orbessan

                                I

                Jeanne de Foix

                x 23 3 1596

                Adrien Cte de Montluc

                                I

                Jeanne de Montluc

                x Charles d'Escoubleau Mis de Sourdis, qui vend le comté de Caraman à Paul de Riquet.

 

 

            Les armoiries des Dueze Caraman sont : écartelé au 1 et 4 d'argent au lion d'azur, armé lampassé de gueules, accompagné de huit (ou douze) tourteaux de gueules posés en orle ; au 2 et 3 de gueules à deux fasces d'or[14].

 

Dueze

 

            Il serait intéressant d'étudier quelle est la réalité de ce pouvoir féodal dans le comté, sa constitution, son démembrement, les liens entre seigneur haut-justicier et les autres, ainsi que l'émiettement en coseigneuries. Et notamment tenter de faire la distinction entre les seigneurs ou coseigneurs qui habitent leurs terres et ceux qui bénéficient d'une parcelle de pouvoir purement nominale. Depuis le traité de Brétigny, (1360), et peut-être avant, suivant certains mémoires en notre possession, Caraman ne relève plus de la province de Languedoc, mais de ce qui reste de la province de Guyenne. Froissart dit que les comtes de La Marche, Périgord, Comminges, les vicomtes de Chatillon et de Carmaing ont protesté quand leurs pays ont été cédés au roi d'Angleterre, pour la rançon du roi Jean, prisonnier après la bataille de Poitiers. Il est certain que Jean II vicomte de Carmaing qui possède les baronnies d'Aspect et de Sault en Guyenne, obtient du roi Charles V, le commandement de 50 lances sur les frontières du pays d'Agenois, et dont le paiement est assigné en 1472, sur les aides et impositions de la vicomté de Carmaing[15]. Depuis le XVI° siècle la bataille politique et juridique est constante, entre les états de Languedoc contre la Guyenne pour reprendre le comté de Caraman. Ils obtiennent des lettres patentes des rois de France, mais elles sont aussitôt rapportées : par exemple les lettres patentes de François Ier du 28 septembre 1531[16]. Le syndic des états proteste le 11 février 1659, en 1737, 1742 ; en 1777 il invoque les nombreux arrêts rendus dans le sens de la requête mais inexécutés en 1532, 1542, 1550, 1590, 1627, etc. Nous le verrons page ???. le rattachement au Languedoc ne se réalisera qu'à la veille de la révolution de 1789.

 

   En conséquence, le comté de Caraman ne ressort donc pas de l'intendance de Montpellier et Toulouse, mais de celle de Bordeaux jusqu'en 1635, date où est créée celle de Montauban. Puis en avril 1716, de l'intendance de Guyenne Pau et Auch, qui vient d'être constituée. En 1753 l'intendant Mégret d'Etigny installe définitivement l'intendance  à Auch (106 km de Caraman). Sur le plan fiscal Caraman relève aussi, confirmé par l'édit d'août 1663, de l'élection de Lomagne dont Lectoure est le siège de l'assemblée. Enfin, le comté n'est rattaché au Languedoc qu'en 1779. La justice est exercée en première instance par des juges seigneuriaux, appelés "les petits cours" à Caraman et en deuxième instance par un juge d'appeaux créé par les lettres patentes du mois d'août 1311 et du mois de juin 1324[17]. La petite cour comtale de Caraman, écrit Dom Vaissete[18], est composée d'un juge, d'un procureur et d'un greffier. Les cas royaux, c'est à dire, les contestations entre personnes privilégiées, relèvent du sénéchal du Lauraguais, qui siège à Castelnaudary[19]. Enfin le parlement de Toulouse est compétent en dernier ressort.

 

   Le rôle et l'attitude des seigneurs qui se succèdent ont une grande importance sur la vie quotidienne de leurs sujets. En fait, en matière de religion, ces seigneurs de Caraman appliquent le principe luthérien : "cujus regio, ejus religio". En effet en 1564, le comte de Carmaing a établi un prêche à Saint-Félix, et il veut faire de même dans plusieurs villes des environs de Toulouse, mais à la génération suivante le comte de Carmaing catholique détruit les temples protestants[20]. Ainsi les habitants seront un temps protestants, puis catholiques, comme leurs ancêtres avaient été cathares à la suite de leur suzerain[21]. Les textes nous montrent que le petit peuple résiste et reste fidèle à la foi catholique. Mais que de souffrances physiques et morales !

La maison

  

C'est une maison de coq de village, 28 kilomètres à l'est de Toulouse, construite au sommet de la colline, seule l'église domine au nord. Est-elle belle ? Je n'en suis pas sûr, elle a le charme suranné des demeures d'antan. Vaste quadrilatère de 20m x 21m construit de bric et de broc autour d'une cour intérieure, sur deux niveaux ; le rez-de-chaussée au nord est deuxième étage au sud, sans jardin, et pourtant au sud la vue des fenêtres n'est bordée que par les Pyrénées. Sur cette façade sud des contreforts lui donnent une allure de château, et la petite tour coiffée et sommée d'une girouette renforce cette prétention.

 

Au nord la maison est donc de plain-pied. La façade est très austère, avec les fenêtres hautes de cuisine, à la fois dans un but de défense et de secret, mais aussi pour empêcher les cuisinières de perdre leur temps en regardant dehors ! Sous la toiture, qui déborde largement à l'italienne, des petites fenêtres oblongues éclairent le galetas. La façade offerte à l'est au vent d'auta, est plus avenante dans son style restauration[22], une grande porte cochère deux niveaux au-dessous donne accès aux écuries, caves, basse cour, et étage intermédiaire qui servait de grenier pour les produits des métairies.

 

dessin de Claude Perron

 

   A l'intérieur, chaque génération y a laissé ce qu'elle a de meilleur sans défigurer l'édifice, dans une douce harmonie qu'accompagne  le souvenir des jours de bonheur passés dans ces lieux en compagnie d'Alix Veyrenc de La Valette, ma tante et marraine, en communion étroite avec les morts qui nous y ont précédés. Cette maison n'a jamais été vendue depuis son achat à la fin du XVI° siècle, cependant la transmission toutes les deux ou trois générations s'est faite suivant une démarche qui s'apparente à l'avancée d'un cheval sur un échiquier, de tante à neveu.

 

 


[1]  - Cf. Dom Vaissete, t. II p. 236.

[2]  - Le diacre Isarn Capel, le chevalier Guiraud de Gourdon, coseigneur de Caraman et de Saint-Germier diacre également, et Arnaud de Verfeil. Le chevalier Gaillard de Belleval est un des familiers des prêches, et le parfait montalbanais Bernard de Lamothe y séjourne. D'autres maisons, vers 1209, sont tenues par Aimery Gaufred et les nobles Ma de Bresselas, mère de Bernard de Bresselas chevalier de Ségreville, et Guillelme de Caraman. Michel Roquebert : L'épopée Cathare. Privat.

[3]  - d°

[4]  - Cf. Dom Vaissete,  t. VII pp. 1993, 1995.

[5]  - Cf. Dom Vaissete, t. VI pp; 243, 507, 811, t. VII p. 45.

[6]  - In Cahiers de Fanjeaux n° 27 p. 333, Bernard Montagne : Prophétisme et eschatologie dans la prédication méridionale de St Vincent Ferrier.

[7] -  Cf. M° Julien Peleus : Les Questions Illustres. Paris 1605. Commentaire de l'arrêt de la cour en robe rouge, à la fête de Pentecôte l'an 1538, dans la succession de la maison de Foix contre le comte de Caraman, et du droit des enfants naturels légitimés par mariage.

[8]  - Cf. Dom Vaissete,  t. VII p. 59, t. XI pp. 117, 290. Et A. Navelle cf t. 2 p. 15.

[9]  - A.D. 11 B 2138.

[10]  - A.D. 11 B 2017.

[11] - Cf. Ramière de Fortanier .

[12] - A Revel, le  marché, très renommé du samedi, a son droit de coupe de un sol de setier de grain, concédé par Philippe le Bel à la ville qui ne lui appartient plus depuis 1656. En 1753, ce droit est la propriété du lieutenant général comte de Caraman. A.D. 34 C 2901.

[13] -  Cf. t. 3, p. 17.

[14] - Martin de Framond  : Sceaux Rouergois du Moyen Age, étude et corpus, A.D. Aveyron Rodez 1982.

[15]  - Cf. A. Navelle, un arrêt du parlement de Bordeaux du 18 07 1640 retrace l'historique de la vicomté de Caraman. Les archives de la Gironde précisent que des lacunes dans les liasses ne permettent pas de le retrouver. Cf. aussi A.D. 31 C 2420 P.V. Etats de Languedoc. nov.janv. 1778.

[16]  - Cf. Dom Vaissete,  t. XIV c. 700 P.V. Etats de Languedoc du 11 02 1659, projet de réunion, et t. XIII p. 117, édit portant réunion du comté de Caraman de mai 1779.

[17]  - A.D. 11 B 2268. Ces dates sont relatives, l'ancien régime avait la prétention de faire remonter l'origine de ses institutions le plus haut dans l'antiquité, sans se soucier d'en rapporter la preuve.

[18]  - Cf. Dom Vaissete, t. XIII p. 1350.

[19]  - A.D. 11 B2317 et B 2323.

[20]  - Cf. Dom Vaissete, t. XI, pp. 970 & 995. Selon l'abbé Morère, op.cit., il s'agirait du même personnage.

[21]  - Il n'est pas prouvé que les communauté protestantes se soient calquées sur celles des cathares, sauf pour les Vaudois.

[22]  - Claude Perron, architecte DPLG, a réparé l'outrage du temps en restituant à cette façade, en 1992, l'équilibre harmonieux des ouvertures.